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Reunion Du Groupe De Travail

17 Aout 2008 Johannesburg

RWANDA : Resoudre Les Principales Contradictions De La Societe Rwandaise 

Présenté par Dr Jean-Baptiste MBERABAHIZI

Secrétaire général des Forces Démocratiques Unifiées, FDU-Inkingi1

Chers camarades,

Avec ses 26.338 km²,  une population de 9,2 millions d’habitants et un produit intérieur brut de 238 USD par an et par habitant, le Rwanda est un pays pauvre, quasiment non industrialisé, divisé et dominé. L’espérance de vie y était de 45 ans en 2005. Plus de 60% de Rwandais vivent avec moins de 1 USD par jour. 90% de ses habitants vivent à la campagne.

D’un point de vue matérialiste historique, la société rwandaise est passée successivement du mode de production primitif, au mode de production féodal, au mode de production capitaliste colonial et enfin au mode de production capitaliste néocolonial. Ainsi, quels que soit leur degré de développement, le féodalisme et le capitalisme sont les deux régimes sociaux dominants ces cinq derniers siècles. Le régime féodal a duré 4 siècles. Le régime capitaliste étapes successives, colonial et néocolonial, dure depuis plus d’un siècle.

Le régime féodal

L’Etat précolonial rwandais s’est formé à partir des chefs de lignages « Abakuru b’Imiryango ». Ensuite, il est le résultat d’une lutte « entre la houe et le bâton » , une lutte entre des chefs de lignages d’agriculteurs et des chefs de lignages pastoraux. Les agriculteurs étaient des Hutus. Les pasteurs étaient des Tutsis. L’issue de ces luttes souvent sanglantes est l’unification du Rwanda et la formation d’un Etat centralisé régenté par un monarque de droit, issue d’une dynastie, celle des Banyiginya, dont l’origine serait céleste. Un mythe veut en effet que les Banyiginya ainsi que tous les clans associés à leur pouvoir, les Baha, les Bakono, les Bega, les Bashambo et les Batsobe, soient des «Bimanuka », ceux qui sont descendus du ciel. Ils seraient les fils de « Gihanga », le créateur. En réalité, ils sont venus du Nord, probablement de l’Ouganda actuel. Ils auraient été acceuillis par le Mwami hutu Kabeja, roi du royaume du Mubari, situé au nord-est, à la frontière entre l’Ouganda, le Rwanda, et la Tanzanie.

L’esclavage a apparemment existé au Rwanda. Il ne s’est pas très développé. Il a laissé des traces puisque le mot « shebuja », signifie littéralement « père dans l’esclavage ». La traite des esclaves a en revanche touché légèrement le Rwanda. Il y eut en effet un marché d’esclaves à Rukara, dans l’est du Rwanda. Les esclaves vendus sur ce marché prenaient le chemin de l’est en direction de Tabora, en Tanzanie. Ce circuit alimentait la traite du trafiquant d’esclaves « Tipu Tipu » qui venait vraisemblablement du Sultanat de Zanzibar. Il a surtout visé ceux qui étaient jugés insubordonnés « abagome » par les chefs « abatware » et les maîtres « shebuja » tutsis. Ainsi c’est plutôt le régime féodal qui a marqué la société rwandaise.

Le régime féodal hutu : ubukonde

Avant le 14ème siècle, sur le territoire du Rwanda actuel, se trouvaient plusieurs entités autonomes dirigées par des « Bami » hutus.  L’économie dominante de ces petits royaumes est agricole. Le mode de production en vigueur est de moins en moins primitif et de plus en plus féodal. Il devient franchement féodal à la veille du 16ème siècle. La société est alors divisé en propriétaires terriens primaires « Abakonde » et en paysans parcellaires « Abagererwa ».  « Umukonde » signifie celui qui a défriché la forêt. « Umugererwa », du verbe « kugererwa » çàd « mesurer », signifie littéralement celui à qui on donne une mesure, une portion. La propriété privée n’existe pas. La terre, « isambu » appartient à la communauté, au lignage ou au sous-lignage « inzu », à la famille « umuryango »  et est gérée par le chef de famille « umukuru w’umuryango ».

Le « mukonde » acceptait de donner en location un lopin de terre à un « mugererwa » pour nourrir sa famille. Le « mugererwa » et donnait au « mukonde » une houe pour sceller la relation, devait s’assurer que sa famille donne des présents « amaturo » à chaque récolte et lui porte assistance en toutes circonstances. Ces « Bami » sont aussi administrateurs des terres « Abahinza » et sont des pluviateurs. Ils président aux cérémonies de semailles et de moisson « umuganura ».

Ils sont généralement issus de trois grands clans, le clan des Bazigaba, le clan des Bagesera et le clan des Basinga.  On les appelle « abasangwabutaka », ceux qu’on trouve sur leur terre. Ce sont eux qui présideront aux cérémonies d’accueil des immigrants, « gutera ubuse ». Ce sont eux qui ont conservé et transmis l’organisation de l’Etat rwandais émergent. Un lignage dominant, les Barenge, avait ainsi une organisation étatique perfectionnée qu’on suspecte d’être issu du Zimbabwe, du « Mwene mutapa ».

Le régime « ubukonde » était peu exploiteur et peu étendu. Il liait très peu de paysans, ne comportait pas d’obligations de prestation de travail gratuit et n’était en vigueur que dans quelques régions, notamment du nord-ouest (Gisenyi, Ruhengeri) et du sud-ouest (Cyangugu).

Le régime féodal tutsi  : « uburetwa » et « ubuhake »

A partir du 16ème siècle jusqu’à l’arrivée des colonialistes, des chefs de lignages pastoraux issus du clan des Banyiginya unifièrent, plutôt  par la violence, les différents petits royaumes sous leur férule et les incorporèrent au fur et à mesure dans le royaume du Rwanda. Ils s’associèrent aux clans des Bashambo, Baha, des Bakono, des Batsobe, des Bega et des Bahondogo. Ils organisèrent plusieurs expéditions destinées à annexer les royaumes de leurs rivaux et à étendre leur règne sur un territoire de plus en plus grand. A l’arrivée des colonialistes allemands à la fin du 19ème siècle (1897), ce mouvement n’est pas encore achevé.

Sous la  dynastie nyiginya, deux régimes féodaux « ubuhake » et « uburetwa » se développèrent et s’étendirent sur une grande partie du territoire du Rwanda actuel. La terre est le principal moyen de travail. L’agriculture et l’élevage sont les principales activités de production. Les principaux moyens de travail sont la houe pour les cultivateurs et le bâton, pour les pasteurs. Il existe un secteur artisanal assez développé. On travaille le fer « ubutare » et le cuivre « umuringa ». Une corporation de forgerons « abacuzi » fabrique les armes (poignards, lances et flèches) ainsi que les instruments de travail (haches, houes, serpettes et couteaux). Une autre corporation de tanneurs « abakannyi » fabrique des vêtements en peau de bête. On travaille également le sisal, le ficus et d’autres matières. Il existe un marché où la règle est le troc « kugurana ». Il y a deux principales classes sociales, les féodaux et les paysans. 

Le régime « Ubuhake »

Dans le régime « Ubuhake », un « mugaragu » recevait une vache de son maître « shebuja ». En échange, la famille du « mugaragu » devait lui obéir et lui porter assistance en  tout moment.  Les conquêtes de terres permirent aux Bami nyiginya de disposer à leur guise des terres prises aux royaumes conquis. Dans un premier temps, les pasteurs nyiginya, ega, ha, kono hondogo, et shambo de faire paitre leurs troupeaux sur les terres des paysans. Ensuite, ces terres furent  confisquées. Les Bami nyiginya les donnaient à leurs vassaux « bagaragu ». Ce fut la naissance des fiefs, « ibikingi », qui privèrent les paysans de terres. Le régime féodal « ubuhake » pouvait lier des Tutsis aux Tutsi pauvres et au Hutus. Il a reçu plus d’écho dans les études, mais les contraintes qu’il imposait aux « bagaragu » étaient sans commune mesure avec les celles imposées aux seuls paysans hutus sous le régime « uburetwa ».

Le régime « uburetwa »

Dans le régime « uburetwa », avait le droit de travailler une terre située dans le fief « igikingi » du chef « umutware ». Pour ce faire, le paysan chef de famille devait désigner dans sa famille ceux qui devaient travailler deux jours par semaine (cinq jours pour la semaine traditionnelle rwandaise) sur les terres du « shebuja ». Ce régime avait un caractère exceptionnellement ségrégationniste. En effet, seuls les paysans hutu y étaient soumis. Les Tutsis en étaient exemptés. Les paysans hutus travaillaient gratuitement 2 jours sur 5 pour leurs maîtres, qui étaient généralement des Tutsi. Ces prestations étaient appelées « gufata igihe ».  La nature des corvées dépendait du bon vouloir du féodal. Cela pouvait aller des corvées domestiques au portage, « guheka » puisque le Rwanda n’avait pas la culture de la roue. Les travaux dits d’intérêt général (TIG), peine dite alternative instituée  par le régime en place aujourd’hui et auxquels ne sont condamnés que les personnes poursuivies pour génocide (généralement des Hutu) rappellent ce régime de corvées puisque les Tutsis n’y sont pas condamnés.

Ce régime féodal a été structuré et étendu par le régime colonial. En effet, pendant la colonisation belge, de 1916 à 1962, il était en vigueur dans pratiquement toutes les chefferies de la colonie, soit 46 alors qu’il ne sévissait que sur un tiers du territoire, avant l’arrivée des colonialistes. De plus, alors que les prestations de travail étaient exigées de la famille, sous la responsabilité du chef de famille, elles furent désormais exigées de l’individu, du corvéable, à raison d’un jour par semaine (de sept jours). Ce système a contribué à sceller une alliance objective entre les féodaux tutsis et les colonialistes belges.

Le régime capitaliste colonial

Le régime colonial rwandais a été marqué par deux épisodes : l’imposition du protectorat allemand  de 1897 à 1916 et le placement du Rwanda sous mandat belge puis sous tutelle belge de 1916 à 1959, respectivement après la fin de la première guerre mondiale et après la fin de la deuxième guerre mondiale .

Le régime colonial allemand

L’arrivée des colonialistes allemands a coincidé avec une période de crise de la dynastie nyiginya. La succession du « Mwami » régnant Kigeli IV Rwabugiri a été marquée par des luttes  entre les Bega et les Bakono d’une grande intensité. En 1899, Rwabugiri a désigné Rutalindwa, du clan des Bakono, comme co-régnant et successeur et Kanjogera, du clan des Bega, comme reine mère adoptive. En 1896, un an après la mort du  Mwami Kigeli IV Rwabugiri, la reine mère Kanjogera avec l’aide de ses frères Kabare et Ruhinankiko, organise un coup d’Etat contre son fils adoptif Rutalindwa. Son fils Musinga, étant encore inapte à gouverner, elle devient régente du royaume. Mais, son pouvoir est contesté dans tout le pays.

Entre 1897 et 1913, plusieurs insurrections éclatent dans le pays, surtout au nord et à l’est. Pour protéger son pouvoir et assurer la sécurité de son fils, elle accepte des présents ainsi qu’une lettre de protection des mains du Capitaine Von Ramsay, faisant ainsi du Rwanda un protectorat allemand. Les Allemands aideront ainsi Kanjogera, puis son fils Yuhi IV Musinga mater les rébellions.

En 1900, Rukara, un descendant de Kimenyi, Mwami du Gisaka, précédemment annexé au Rwanda, refuse l’autorité de Musinga et proclame l’indépendance du Gisaka. Il est mâté par le chef du district d’Usumbura au Burundi, Graewert. Rukara est capturé. Il meurt prison à Bukoba, en Tanzanie.

En 1905, Musinga monte une expédition militaire contre Basebya, chef twa du Mulera, qui refuse de payer les prestations exigées par le mwami. Les troupes envoyées par le mwami sont battues. Il fait appel aux Allemands pour venir à bout de cette insurrection.

En 1910,  Rukara rwa Bishingwe, chef réputé au Mulera, assassine un missionnaire européen, le père Lupias, à la suite d’une querelle entre ce dernier et plusieurs de ses parents qui voulaient se soustraire à son emprise. Le résident allemand Gudovius organise une expédition punitive dont l’objectif est la soumission complète de la région au prix de la destruction des récoltes et des habitations. Plusieurs Hutu sont tués.

En 1911, Nyiragahumuza, l’une des veuves du « mwami » Rwabugiri, annonce que l’héritier du trône, Mibambwe IV Rutalindwa est encore vivant et se cache dans le nord du pays. Une révolte éclate contre le mwami Musinga et embrase le nord du Rwanda. La rébellion est matée par une intervention allemande et Nyiragahumuza est capturée.

Egalement en 1911, Ndungutse refuse l’autorité de Musinga et organise une une rébellion au nord du pays. Les troupes de Musinga s’avèrent incapables de défaire les troupes rebelles.

En 1912, les troupes allemandes attaquent le Buberuka, dans la région de Ruhengeri, où se sont réfugiés Ndungutse, Rukara rwa Bishingwe et Basebya. Ndungutse livre d’abord Rukara pour s’attirer la clémence des troupes allemandes, puis prend la fuite en Ouganda. Rukara et Basebya sont exécutés. Le lieutenant allemand Linde prend en charge la punition de la région. Les récoltes sont détruites, les habitations sont brûlées et la résistance est matée. Au total, au moins 50 personnes sont tuées.

Ainsi, au départ les colonialistes allemands s’allient aux féodaux du clan des Bega. Paul Kagame, est un descendant de la Reine-mère Kanjogera, par qui le Rwanda est devenu un protectorat allemand. Il se rend régulièrement en Allemagne où il reçoit souvent des soins médicaux.

Le régime colonial belge

Le régime colonial belge a uniformisé le territoire et étendu l’autorité du mwami. Ainsi, en 1925 l’administration belge occupe le Bukunzi, province bénéficiant d’un statut de protectorat au sud-ouest du Rwanda. La reine-mère de la région, Nyirandakunze, est tuée et le jeune mwami Ngoga meurt emprisonné à Kigali. En 1926 : Les troupes belges occupent le Busozo, dont le mwami vient de mourir, et en confient le commandement à un jeune notable de la cour (+Reyntjens, 1985, 102). Un mouvement messianique dit de Nyiraburumuke ou de Ndanga, fait se soulever les populations du Bugesera et du Gisaka. La force publique mate ce soulèvement en 1927.

Les colonialistes belges suppriment plusieurs tributs existants – dont, en 1924, les prestations en bétail et en vivres – imponoke, indabukirano et amaturo–, elle généralise l’uburetwa dont elle étend considérablement l’assiette à tout homme adulte valide sur l’ensemble du territoire rwandais et crée l’akazi, réquisition d’hommes pour effectuer des travaux d’intérêt public non rémunérés

Le régime colonial est donc en alliance politique avec le régime féodal. Sous ce régime, le Rwanda entre dans l’économie capitalisme mondiale. Il fournit des minerais (cassitérite, colombo-tantalite, wolframite, etc.) et des produits agricoles exportés en Europe (café, thé, pyrèthre et quinquina). Pour l’évacuation des produits, il fallait construire des routes. Aux corvées « uburetwa » vient ainsi s’ajouter « akazi » ou prestations obligatoires au profit des colonialistes (portage, construction de routes et de ponts, construction de bâtiments publics, travail obligatoire dans les plantations de thé, de café, de pyrèthre et de quinquina). Jusqu’à sa suppression au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la volonté d’éviter l’uburetwa constituera l’une des principales motivations de l’exil : 425.000 Rwandais quitteront le pays pour l’Ouganda et le Tanganyika.

Cette alliance ne s’est pas toujours passée sans crises. En particulier, en 1931, Musinga a été déposé par les colonialistes belges. Les troupes coloniales allemandes ne comptaient que quelques dizaines d’officiers et de sous-officiers allemands ainsi que 154 hommes de troupes africains. Pour faire face à la contre-offensive engagée par les troupes coloniales belges après l’attaque d’un poste colonial sur l’Ile Ijwi (actuellement en RDC), Musinga avait levée des troupes Indugaruga, pour aider les Allemands.  Ils le remplacèrent par son fils Mutara III Rudahigwa jugé plus apte à obéir. Il fut déporté et mourut à Moba, en RDC. Dans les années 1950, Rudahigwa manifesta de moins en moins d’enthousiasme

Alors qu’il n’y avait que deux classes sociales, les féodaux et les paysans, le régime colonial a créé deux nouvelles classes sociales, toutes deux issues de la paysannerie. D’une part, une petite bourgeoisie et d’autre part, un embryon de prolétariat. Ces deux classes sociales sont majoritairement composées de Hutu. Liées aux paysans hutus astreints au régime féodal « uburetwa » et au régime colonial « akazi », ces deux classes sociales ont eu accès aux connaissances véhiculées par l’école coloniale. Ce sont elles qui serviront de ferment à la contestation de l’ordre féodal et de la monarchie nyiginya.

Une alliance objective se noua entre les paysans, les ouvriers et les petits bourgeois hutus contre l’ordre féodal et contre la monarchie nyiginya. Mais, la faiblesse idéologique des organisations qui naissent en 1950 ainsi que les manœuvres tactiques des colonialistes belges auront raison du mouvement anti-féodal. Le mouvement révolutionnaire rwandais dissocia les tâches de la révolution anti-féodale des tâches de la révolution anti-coloniale.

Cette erreur stratégique a grandement affecté l’histoire du Rwanda. Ainsi, les féodaux tutsis, alliés aux colonialistes allemands et belges pendant longtemps, purent se faire passer pour des révolutionnaires et des champions de la libération nationale. Leurs positionnements tactiques, tirant partie de l’essor du mouvement communiste international et en particulier de l’internationalisme prolétarien, leur permirent même d’organiser une contre-révolution infructueuse de 1959 à 1968 que même des révolutionnaires aguerris soutinrent, comme Che Guevara au Congo .  Cette erreur fut à l’origine des drames qui suivirent la révolution de 1959.

Aujourd’hui encore, beaucoup de révolutionnaires se laissent prendre dans de telles manœuvres tactiques. Ainsi par exemple, tirant partie des luttes inter impérialistes qui opposent en Afrique noire, l’impérialisme français d’une part et l’alliance entre les impérialismes américain et britannique d’autre part, le Front patriotique rwandais, ciblant la France, trompe la vigilance de la plus part des révolutionnaires africains, alors même que le régime qu’il a mis en place est un régime néocolonial américano-britannique.

Le mouvement révolutionnaire des années 1950 a réussi à imposer le démantèlement des fiefs- ibikingi-, l’abolition des régimes féodaux « ubuhake » et « uburetwa » ainsi que la fin de la monarchie et la proclamation de la république, en 1961. En revanche, il n’a pas permis aux Rwandais de se défaire du colonialisme. Entre 1965 et 1968, des rectifications idéologiques internes au parti au pouvoir, le Mouvement Démocratique Républicain, influencées par les nationalistes tanzaniens sous la direction de Mwalimu Julius Nyerere, a insufflé à la révolution rwandaise, une impulsion nouvelle. Ainsi, la Constitution du Rwanda fut revue pour inclure dans le projet national le principe du socialisme démocratique, un concept progressiste dans les conditions rwandaises d’alors.

Mais, cela n’empêcha pas que le Rwanda tombe sous domination néocoloniale française après 1975.

Le régime néocolonial

Les erreurs de la révolution de 1959 ont poussé à l’exil, essentiellement dans les pays voisins, Burundi, Congo, Ouganda et Tanzanie, 150.000 Tutsis . Ils y rejoignirent ainsi 425.000 Hutus qui avaient fui le régime féodal « uburetwa » entre 1897 et 1950. Ils y rejoignirent également, plusieurs centaines de milliers d’autres installés par le pouvoir colonial belge dans le cadre de sa politique de transfert de force de travail du Rwanda le Congo, pour en faciliter l’exploitation coloniale.

De 1962 à nos jours, le Rwanda est entré dans un régime néocolonial. Pendant cette période, la petite bourgeoisie s’est étendue grâce à l’extension du salariat. Comme partout ailleurs en Afrique , la consolidation de  l’entrée du Rwanda dans les circuits de l’économie capitaliste mondiale a permis la naissance d’une autre classe : la bourgeoise politico administrative et compradore.

Deux éléments fondent la particularité de la bourgeoisie politico administrative et compradore rwandaise par rapport au reste de l’Afrique. Premièrement, elle est généralement ethnique et non nationale. Deuxièmement, la fraction au pouvoir se lie à l’une ou l’autre impérialisme occidental dont elle sert de relais.

Entre 1962 et 1973, l’économie néocoloniale rwandaise ne s’est pas assez développée pour créer une telle classe. La classe dominante était la petite bourgeoisie hutue. Ses liens avec le capitalisme belge, un capitalisme sans envergure, n’ont jamais permis le développement d’une bourgeoisie digne de ce nom.

Entre 1973 et 1994, après le coup d’Etat des militaires originaires du Nord du Rwanda, un essor assez significatif de l’économie néocoloniale rwandaise a permis la constitution d’une bourgeoisie politico administrative et compradore, liée par un Accord de coopération militaire à la France. Cet essor n’a été stoppé que par la guerre lancée en 1990 par le Front patriotique rwandais, un amalgame entre les contre-révolutionnaires tutsi des années 1960 et la petite bourgeoisie issue des 150.000 réfugiés tutsis des années 1960, sous la direction de sa fraction anglophone née et éduquée en Ouganda.

La bourgeoisie politico administrative et compradore tutsie

Depuis 1994, une nouvelle bourgeoisie politico administrative et compradore tutsie s’est formée. Elle a réalisée son accumulation primitive par l’expropriation de l’ancienne bourgeoisie politico administrative hutue, le pillage de la République Démocratique du Congo , la main basse sur les entreprises publiques par le biais de la privatisation des entreprises publiques opérant dans différents secteurs (thé, café, riziculture, industrie, mines, énergie, télécommunications, finance, hôtellerie & tourisme) seule ou en joint-ventures , l’aide bilatérale du capitalisme occidental, essentiellement, les USA et le Royaume-Uni et multilatérale (Banque mondiale et Union Européenne), ainsi et surtout par le siphonage du revenu national au détriment de la paysannerie .  On sait par exemple, que les 10% les plus riches au Rwanda, concentrent en leurs mains, 38% du revenu national.

Les trois principales contradictions de la société rwandaise

Il résulte de tout ce qui a été dit qu’il y a trois contradictions majeures au Rwanda: le question ethnique, la question sociale et la question nationale.

La question ethnique

Elle est le fait de l’exclusion ethnique. L’exclusion ethnique fait qu’il n’y a pas de correspondance entre l’Etat et la nation. L’Etat est mono ethnique alors que la nation est multi ethnique. De plus, les pratiques exclusions débouchent sur des conflits armés déstructurés dont les conséquences sont la destruction des ressources naturelles à commencer par les ressources humaines, le freinage de la croissance du marché intérieur dû à la discrimination et la création de clivages au sein des masses. Aujourd’hui les Hutus et les Rwandais issus de mariages mixtes sont les principaux exclus de la nation rwandaise, au nom de la prévention ou de la répression du génocide.

La question sociale

Elle est le fait de l’accaparement des terres et du revenu national par une clique politico administrative et compradore liée à la globalisation capitaliste. Liant son intérêt à celui du capitalisme mondial, elle participe de l’appropriation de la valeur ajoutée créée par l’économie néocoloniale rwandaise. A titre d’exemple, alors que 60% des Rwandais en général et 80% en milieu rural, vivent avec moins d’1 USD par an et que le revenu moyen par habitant est de 220 USD par an, le revenu mensuel du Président Paul Kagame est de près 26.000 USD par mois.

La question nationale

Depuis l’arrivée des colonialistes allemands, les cliques dirigeantes rwandaises se sont toujours alliées à l’impérialisme occidental pour arriver au pouvoir ou s’y maintenir. L’aristocratie tutsie s’est alliée aux colonialistes allemands et belges entre 1897 et 1950. La petite bourgoisie hutu au pouvoir après 1962 s’est alliée au capitalisme belge de 1959 jusqu’en 1968. De 1973 à 1994, la bourgeoisie politico administrative hutu issue s’est alliée au capitalisme français. Depuis, 1994, la bourgeoisie politico administrative et compradore tutsie est au service des intérêts de l’impérialisme américano-britannique.

Paul Kagame a ainsi justifié et approuvé la guerre néocoloniale que les Etats-Unis et le Royaume-Uni mènent en Irak. La guerre d’agression déclenchée le 02 août 1998 contre le gouvernement nationaliste congolais dirigé par Laurent-Désiré Kabila était une guerre néocoloniale américano-britannique, sous-traitée aux troupes de Paul Kagame. Elle continue encore au Nord Kivu, sous la couverture de la milice du Conseil National pour la Défense du Peuple, CNDP dirigé par les anciens officiers de l’Armée patriotique rwandaise, Laurent Nkundabatware et Jean-Bosco Ntaganda.

La tâche de la révolution démocratique nationale rwandaise est de résoudre ces trois questions et faire du Rwanda, un Etat démocratique, non ethnique et indépendant, solidaire des autres peuples d’Afrique, au lieu d’être le point de départ d’agressions impérialistes contre d’autres Etats africains. Cette tâche requiert la solidarité de tous les révolutionnaires. Elle ne peut être menée à bien qu’à travers un front démocratique et national. Ce front est en marche. Il s’agit des Forces démocratiques unifiées. Les FDU comptent d’abord sur la force des masses rwandaises, mais elles ne peuvent mener ce combat dans l’isolement. La solidarité des autres peuples opprimés ne peut qu’accélérer la victoire des forces démocratiques sur les forces de l’exclusion.

Johannesburg, Août 2008

Joseph Mbwiliza, "The Hoe and the Stick: A Political Economy of the Heru Kingdom,"

René Lemarchand,  Vansina, Jan. – Le Rwanda ancien : le royaume Nyiginya. Paris, Karthala, 2001, cartes, 289 p., Cahiers d'études africaines, 171, 2003
http://etudesafricaines.revues.org/document1540.html

Viret Emmanuel , Rwanda Index chronologique (1867-1994) Avril 2008
http://www.massviolence.org/Article?id_article=108

Che GuevaraErnesto, The African Dream: The Diaries of the Revolutionary War in the Congo,
New York: Grove Press, 1999, (2000, English translation), 244pp.
http://www.etext.org/Politics/MIM/bookstore/books/africa/checongo.html

SHIVJI Issa, Class Struggles in Tanzania

Rapport final du Groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République Démocratique du Congo,
http://www.grip.org/bdg/g2044.html

Visiter ce site pour en savoir plus http://www.privatisation.gov.rw/

USAID 2006 Congressional Budget Justification for Rwanda
http://www.usaid.gov/policy/budget/cbj2006/afr/rw.html

DFID DFID’s Three Year Plan for Rwanda (2003-2006)
http://www.dfid.gov.uk/pubs/files/caprwanda.pdf

UNDP Turning Vision 2020 into Reality: From Recovery to Sustainable Human Development, 119pp.
http://78.136.31.142/en/reports/nationalreports/africa/rwanda/RWANDA_2007_en.pdf

Hakizimana Emmanuel : Le développement économique au Rwanda : miracle ou mirage? Le Soleil, lundi 14 juillet 2008, http://www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=143&Itemid=87